Faut-il mettre en scène sa vie pour se convaincre qu’elle est belle ?
Ami lecteur, jusqu’à maintenant, j’avais une vraie dent contre la mise en scène de soi sur les réseaux sociaux. Toutes ces photos, ces « posts » et ces « events » destinés à prouver à quel point on est beaux, actifs, passionnants et passionnés, je trouvais ça grotesque.
Pour être cohérente, j’avais donc adopté une politique de discrétion, consistant à avoir des comptes Facebook et Twitter, certes, mais sans photo ni informations personnelles. J’avais aussi scrupuleusement éliminé de mes « amis » tous ceux qui s’émeuvent d’une coccinelle sur un trottoir, postent les punchlines de leur enfant de trois ans ou des photos de cupcakes.
Une publication comme celle-ci pouvait me donner envie de renoncer définitivement à la race humaine :
Mes convictions ont commencé à vaciller à la faveur d’une déprime (événement bi-annuel, en ce qui me concerne).
C’est ridicule, OK. Mais peut-être que le fait de mettre en scène sa joie à grands renforts de petits coeurs rend cette fille plus heureuse ? Plus reconnaissante de ce que la vie veut bien lui offrir ? Evidemment, elle ne va pas publier de photo d’elle en train de dégobiller son spritz à 2H du mat’. Bien sûr elle ne dira rien quand elle commencera à trouver que Bobby a les cheveux gras et qu’il manque d’ambition. Les publications sur les réseaux sociaux livrent une version romancée et parcellaire de la réalité, c’est entendu. Mais finalement pourquoi pas ? A ce stade, ton amie journaliste s’est demandée si toutes ces conneries n’aidaient pas à aimer la vie et ses petits plaisirs, comme cette bouffonne d’Amélie Poulain avec la croûte des crèmes brûlées.
C’est alors que je suis allée voir l’expo Jacques Henri Lartigue, à la Maison Européenne de la Photo. Le bonhomme est présenté comme quelqu’un de « doué pour le bonheur ». Autant te dire qu’en période de détresse, ça m’intéressait d’aller lui piquer quelques trucs et astuces.
Lartigue a commencé à prendre des photos à l’âge de huit ans, et il ne s’est jamais arrêté. Il a photographié des arbres en fleurs, sa meuf (beaucoup), ses vacances à Megève, ses bons délires avec son pote Picasso, ou encore du linge qui sèche. Enfin il a fait du Instagram.
Du Instagram de talent, certes, mais les sujets ne sont pas différents. Et effectivement, le mec est tellement ravi qu’on le croirait perpétuellement défoncé : il est amoureux du printemps, de la pluie, du soleil, de Florette. Il expose les beaux moments de sa vie, comme la #HappiestGirlInTheWorld.
Ami lecteur, je me livre à une expérience scientifique. J’ai changé ma photo de profil, j’ai mis une photo de moi en maillot de bain. J’ai reçu des likes, ça m’a rendue contente. Je vais prendre en photo mes cafés, mes fringues, je vais tout publier pour me rappeler que la vie est une fête. Et on en reparle dans un mois, pour évaluer les bénéfices et fêter, peut-être, l'abdication de la pudeur.