Tics de langage à la con : « Je te fais un petit mail »
Ce moment, terrible, où tu viens de passer vingt minutes au téléphone à exposer une situation à ton interlocuteur, pour qu'il finisse par te dire : "Vous me faites un petit mail ?". Bien sûr, tu as envie de répondre : "Pourquoi, qu'est-ce que t'as pas compris, gros relou ?". Mais au fond de toi, tu sais. Sans trace écrite, c'est comme si cette conversation n'avait jamais existé.
Ton amie journaliste a remarqué que la phrase « je vous fais un petit mail » était en passe de devenir automatique ; une sorte d'assurance, au cas où les choses tourneraient vinaigre. « Je vous fais un petit mail », sous-entendu : « pour prouver la date à laquelle nous nous sommes parlé et vous inciter à vous sortir les doigts pour répondre à ma requête ».
On dit aussi : « je lui ai mis un petit mail », variante qui exprime bien le coup de pression que le « petit mail » vise à coller à son interlocuteur. Le « petit » étant l’adjectif-clé pour rendre l’ultimatum socialement acceptable.
Notons que le mail est toujours « petit », comme pour s’excuser du dérangement qu’il provoque. Certaines personnes poussent le vice jusqu’à annoncer la couleur en introduction de leur message : « Juste un petit mail pour te rappeler que… ». On ne dit jamais « Juste un gros parpaing de texte dans ta gueule pour te rappeler que… ».
Dans ce monde où manquer de temps fait de vous quelqu’un d’important, la parade professionalo-amoureuse consiste à s’allonger par terre dans l’espoir d’être entendu : « Je ne t’embête pas longtemps, je t’en prie lis-moi jusqu’au bout, tu vois regarde c’est déjà presque fini ».
Le « petit mail », c’est le truc qui fait semblant de ne pas te vouloir de mal, mais qui pourra quand même être ressorti en temps voulu quand on sera passé du passif-agressif traditionnel à la guerre de tranchées. C’est le post-it qu’on vient coller sur ton écran et que tu ne peux pas ignorer, c’est le symptôme du délitement de la confiance entre les hommes.
Je te fais un petit mail pour récapituler tout ça, bisou.