Pour enfin avoir un avis sur la loi El Khomri
Requête de B : "Chère amie journaliste, je n'ai rien écouté/compris à la réforme du travail. Mais moi aussi, je voudrais avoir un avis catégorique. Tu comprendras qu'en l'état, je suis incapable d'assister à la pause café avec les collègues... Et ça, c'est un vrai problème".
Amie lectrice, il faut que je te raconte les coulisses de cette requête. Quand je l'ai lue, je me suis dit "oh-oh". Parce que comme toi, j'ai fait l'autruche en mobilisant tout un tas de prétextes fallacieux ("Oui mais j'étais en voyage", "Le truc c'est que je suis en train de finir L'Arabe du futur 2"). Tu m'as démasquée.
Comme ma fainéantise est tenace, je suis allée trouver mes collègues journalistes pour voir à qui je pouvais refiler le bébé. Et là, stupéfaction : personne ne se sentait en mesure de répondre à cette requête.
J'ai eu : "Je suis dans autre chose là" (du spécialiste Économie), "T'as qu'à regarder un tuto YouTube" et le très honnête "Tu rigoles j'y bite rien" (journaliste politique). J'ai dit : "Mais pourquoi tout le monde est dans la rue si même nous on ne sait pas de quoi il retourne ?". Silence.
(En realité, il y a deux journalistes qui masterisent le sujet, mais on n'a pas assez gardé les cochons pour que je leur demande de bosser à ma place).
BREF j'ai dû prendre les choses en mains. Toi aussi tu vas pouvoir t'indigner nom de dieu, j'en fais une affaire personnelle. J'ai même fabriqué une étiquette pour fêter ça.
> Avec la loi El Khomri, ton employeur pourra, plus facilement qu'avant, moduler ton temps de travail et ton salaire (pas vraiment à ta faveur, tu t'en doutes). Tu pourras refuser si tu veux (on n'est quand même pas des chiens) mais alors ton employeur aura le droit de te foutre à la porte.
Phrase machine à café : "Et dire que c'est un gouvernement de gauche qui nous propose de travailler plus, et pour par un rond supplémentaire. Quelle ironie" (ou "Quelle farce").
> Est également prévu le plafonnement des indemnités prud'homales. Ça veut dire que si tu es licenciée de manière abusive, tu pourras attaquer en justice bien sûr (on n'est pas des chiens rappelle-toi), mais ton employeur saura désormais parfaitement combien ton petit caprice va lui coûter. Ce n'est plus le juge qui décide, la loi fixe un barême. Par exemple, pour un employé qui est là depuis moins de deux ans, ce sera trois mois de salaire maximum. Sauf si ton employeur a vraiment déconné, s'il t'a harcelée sexuellement par exemple, là, d'accord, le juge pourra décider de rallonger un peu la note. Sympa.
Phrase machine à café : "Les types pourront te mettre dehors à la moindre occasion, ils savent que ça ne leur coûte que trois mois de ton pauvre salaire. C'est la fin du CDI."
> Les règles du licenciement économique sont revues, et notamment les critères qui définissent les "difficultés économiques". Jusqu'à maintenant, c'était le juge qui décidait de la légitimité d'un licenciement économique ; le nouveau texte précise sacrément le cadre. Comme pour les indemnités de licenciement, on se prive donc de l'appréciation d'un homme en chair et en os, qui peut évaluer les situations au cas par cas, lui. Phrase machine à café : "On retire son pouvoir au juge. On grave les règles dans le marbre." (Et, si tu es en verve : "C'est la dictature".)
De ce que j'ai lu, amie lectrice, je tire cette conclusion : en vrai, c'était déjà sacrément le merdier. Ce que fait la loi, me semble-t-il, c'est d'entériner le merdier. D'en faire la règle. De formaliser le merdier avec des tirets et des alinéas, pour pouvoir appeler ça "la loi" (dénomination plus élégante).