PNR – ou comment Cazeneuve se prend pour Père Castor
Jeudi prochain, le Parlement Européen vote le Passenger Name Record, le fameux PNR dont on nous rebat les oreilles depuis des semaines. A écouter nos dirigeants, on a l'impression que la collecte des données des compagnies aériennes va mettre fin au terrorisme mondial (grosso modo). Ton amie journaliste a demandé à son "Ami technocrate", qui bosse sur le sujet à Bruxelles, ce qu'il en pensait. "C'est de l'enfumage, du story telling de A à Z !", qu'il m'a répondu. Du coup, je lui ai demandé de nous faire partager ses lumières. Voici son texte.
Père Cazeneuve, raconte-nous une histoire
Par Ton ami technocrate
Mardi 22 mars au matin, alors que la station de métro Maelbeek à Bruxelles est encore fumante après qu’un kamikaze s’y est fait exploser, Bernard Cazeneuve descend le perron de l’Élysée la mine grave, et fait une déclaration à la presse : le Parlement Européen doit d’urgence voter la Directive PNR, organisant le fichage des données des passagers aériens.
La presse embraye, unanime. Un journaliste (très écouté) va même jusqu'à accuser les eurodéputés opposés au PNR de « complicité » avec les terroristes. Le même soir, le journal télévisé de France 2 titre : “Passagers : toujours pas de fichier !”
Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire de députés terroristes et de fichier qui bloque ? Assieds-toi, Père Cazeneuve va te raconter. Et attention, sur ce coup là, lui et ses potes sont assez balèzes en story telling.
Chapitre I
Il était une fois des gens Très très méchants que notre héros (appelons-le Bernard) cherche à combattre par tous les moyens. Bernard est chef de la sécurité de son village, il a un peu la pression. Il affirme aux habitants que pour chasser les Très très méchants, il doit attraper un pouvoir magique que d’affreux députézeuropéens l’empêchent d’atteindre : le PNR. Les habitants du village sont vent debout. Quoi ? Les députézeuropéens souhaiteraient-ils que le village soit anéanti ? Ils sont copains avec les Très très méchants ou quoi ? Ils en sont sûrs, quiconque s’opposera au PNR -personne ne leur a vraiment dit ce que c’était, mais peu importe- est un ennemi du village.
Le PNR, c’est quoi, au juste ?
Le passenger name record, ce sont les informations personnelles que tu transmets à une compagnie aérienne lorsque tu réserves un billet d’avion (nom, prénom, adresse, itinéraire, etc). Les Américains, connus pour être des chantres de la vie privée, récupèrent ces données depuis 2001.
En 2011, la Commission européenne suggère de collecter les données PNR au niveau européen. Mais patatras, la« Commission des libertés » du Parlement rejette la proposition, parce qu’elle estime que la collecte de masse s’oppose au respect de la vie privée. Laquelle vie privée est, rappelons-le au passage, inscrite dans la Convention Européenne des Droits de l’Homme et la Charte des Droits Fondamentaux de l’UE. Ami lecteur, ces deux documents ne sont pas des tracts d’ONG, mais des instruments juridiquement contraignants.
2015, les Très très méchants frappent à nouveau. La France demande au Parlement Européen de revoter la proposition qu’il avait rejetée.
Chapitre II
Un autre chef du village (appelons-le Manuel) vient au secours de Bernard. Il décide d'aller voir les députézeuropéens chez eux, pour leur passer un savon dont ils se souviendront, car "le Parlement européen doit être au niveau de l'exigence des peuples". Les habitants et ménestrels sont émerveillés devant la bravoure de Manuel, qui immédiatement enfourche son cheval blanc et file au galop vers Strasbourg.
Admettons pour le bien de notre histoire qu’en ces temps de guerre, comme certains l’ont proclamé, il faudrait s’asseoir sur nos droits et valeurs. Admettons qu’après les nombreux couacs entre les services de renseignement, un peu plus de coordination au niveau européen puisse nous rendre plus efficaces dans la lutte contre le terrorisme.
Et bien même en admettant tout ça ami lecteur, j’ai bien peur qu’on te raconte des histoires. Parce qu'il n'y en aura pas, de grand fichier européen.
Le texte qui sera soumis au vote jeudi 14 avril prévoit la création de 28 bases de données séparées, une par État membre, et sans obligation claire de partage de l'information. En gros, on va mouliner des données sévère, mais chacun de notre côté. Les Très très méchants peuvent trembler.
Ami (é)lecteur, habitant du village, entendant la clameur de ton « exigence » insistante pour un dénouement heureux à toute cette histoire, pas d'inquiétude, la France va les avoir, ces méchants (parlementaires ou terroristes, je te laisse rayer la mention inutile).
*Prochainement dans les histoires de Père Cazeneuve : Bernard contre le Dark Web et Bernard construit des cabanes en Turquie pour les réfugiés.