#PassionCoulisses : la visite d’une classe de collégiens
Ami lecteur, si tu devais te figurer l’ambiance qui règne dans une rédaction, tu penserais peut-être à la série The newsroom. Les infos qui fusent d’un bout à l’autre de la pièce, les journalistes qui courent avec un téléphone coincé sous le menton, et des moments de détente confraternelle où on boit des coups en faisant des blagues à la fois politiques et spirituelles… Je te suggère plutôt d’imaginer l’ambiance qui règne dans un bureau de poste un lundi matin.
Parfois, ce calme (mortel) est troublé par un groupe compact d’une trentaine d’enfants qui traverse l’open-space en essayant d’être discrets. Ce sont des 5ème qui visitent le journal, pour voir la fabrication de l’actu en marche. Nous, les journalistes, on les regarde passer comme les vaches regardent les trains, le casque anti-bruit sur les oreilles et la paupière lourde.
Un jour, une collègue m’a proposé de m’associer à elle pour faire visiter les lieux à ces jeunes pas encore fanés, et leur parler de notre métier ; j’y ai vu une occasion inespérée de me distraire, ou même, simplement, de parler à des gens.
Comme j’étais tout excitée, je les ai rejoints avec dix minutes d’avance alors qu’ils étaient encore en train de visiter le service maquette. Un correcteur -que je croyais mutique- leur servait un discours terriblement jargonneux : « Comme vous le constatez sur le chemin de fer, le journal est monté à l’envers, on commence par le froid, et on termine par le chaud ; on met les BAT dans la bannette, et après, et bien, ils sont accrochés au mur ». Un enfant a soufflé sur sa mèche, une autre, qui dépassait tout le monde d’une tête, a remis ses lunettes. Ils étaient mal.
Ensuite, nous sommes allés sans la salle de conférence de rédaction. Ni une ni deux, je commence à raconter par le menu mes derniers reportages, trop heureuse d’avoir face à moi une assistance obligée de m’écouter. Il s’agissait d'une enquête sur les cirques et les zoos, j’ai supposé que ça leur parlerait.
A un moment, l’enfant à mèche a posé une question : « Mais par exemple, quand vous voyez un tigre dans une cage minuscule, vous dites aux gens du zoo que c’est pas bien ? ». A ce stade, je suis au-delà du bonheur, j’exulte. « C’EST UNE EXCELLENTE QUESTION GENTIL ENFANT ! Tu mets le doigt sur le principe d’objectivité du journaliste ! ».
J’ai déroulé, déroulé, et au moment où je disais que j’avais pleuré quand j’avais vu les éléphants exécuter leur numéro de cirque (« Et là c’était chaud patate parce qu’il y avait l’attachée de presse à côté de moi, et moi je voulais pas non plus me taper l’archouma, et… »), j’ai senti que ma collègue me regardait de manière insistante. Pas impossible que j'en aie fait un peu trop. Et de toutes façons, notre temps avec eux était écoulé.
L’enfant à mèche est venu me trouver à la fin pour me demander si j’avais voyagé dans des pays en guerre. J’ai dit que j’avais fait un reportage sur les soiffards de la Costa Brava, mais il n’a pas compris. N’empêche, meilleure journée de la semaine.
La photo d'illustration est un extrait de la couverture de la BD de Riad Sattouf, Retour au collège.