#PassionCoulisses : la conf’ de rédac’
Ami lecteur, pour te figurer une conférence de rédaction du lundi matin, tu dois imaginer une grande table, autour de laquelle sont placées toutes les éminences grises du journal.
Le directeur de la rédaction s'assoit au milieu, tel Jésus entouré de ses apôtres. Les journalistes se positionnent en fonction de l'importance qu'ils s'auto-attribuent. Les critères pour s'asseoir près du chef sont :
1- être un homme
2- être vieux
3- avoir une grosse voix
Les autres, ceux qu'on n'entend jamais, forment un second rang en retrait de la table. Une disposition qui permet au tiers-état (stagiaires ou salariés sous-payés) de profiter du spectacle dit de "la Raie", sorte de sourire du plombier appliqué à la presse.
Le meneur de la réunion distribue la parole aux chefs des rubriques "Conso", "Culture" et "Idées" qui résument le contenu de leurs pages. Au moment où intervient la conf, ils ont déjà bouclé - personne ne formule de critiques. C'est quand arrive le temps des pages "France" et "Événement" que la salle prend subitement des airs de plateau de télévision.
Il s'agit alors de briller. En vrai, il n'y a pas de caméras, mais les égos s'en dispensent aisément. On peut dire tout et son contraire, ce n'est nullement un problème ("C'est à bas bruit mais c'est extrêmement fort"). On peut aussi faire avancer le schmilblick en formulant divers pléonasmes percutants ("Il y a un repli fort sur le repli identitaire"). On peut enfin jouer à formuler la proposition la plus creuse/la plus jargonneuse possible ("On va décliner la séquence médiatique de la semaine dernière"). On peut interroger ses voisins discrètement quand on n'a pas compris :
"- On va faire quoi ?
- Ben on va décliner. Décliner la séquence.
- Ah, ok".
Les cerveaux sont en ébullition.
Dans toute conférence réussie, il se trouve un moment où quelqu'un s'emporte : "Et on ne dit rien à propos de Saint-Nom la Bretèche ?! Parce que je sais pas, mais enfin, c'est quand même hallucinant Saint-Nom la Bretèche !". Ici tout le monde prend un air entendu ; on opine du chef, il faudrait vraiment dire quelque chose à propos de Saint-Nom la Bretèche. Il est évidemment exclu de formuler à voix haute la question que les trois quarts de la salle se posent, à savoir : "Il se passe quoi à Saint-Nom la Bretèche ?".
Ceux qui ont lu Le Journal du Dimanche la veille sont avantagés, les autres peuvent éventuellement taper discrètement "Saint-Nom la Bretèche" dans Google Actu. Au bout d'une heure, tout le monde s'en va avec le sentiment du devoir accompli.
#MagieDeLaPresse.