Nuit Debout pour les Nuls
Requête de Luc, perplexe : "Je n'ai pas compris Nuit Debout. Tu saurais m'expliquer de quoi il s'agit, toi ?"
Moi, pas tellement, mais Mon ami à capuche, qui campe place de la République depuis plus d'un mois, si.
Ami lecteur, si tu n’as rien compris à Nuit Debout, ne t’en fais pas, tu n’es pas le seul. En vrai, personne n’y comprend rien. C’est un mouvement sans tête et sans carte d’adhérents. Un truc qui n’a pas de programme, et qui ne revendique rien. Du coup, tu peux imaginer la difficulté de le définir. Il suffit d’ailleurs d’entendre les brillantes analyses de nos hommes politiques pour s’en convaincre.
Prenons Nicolas Sarkozy par exemple : pour l’ancien président de la République, Nuit Debout n’est qu’un mouvement composé de « gens qui n’ont rien dans le cerveau ». Jean-François Copé, dont personne ne doute de la « street crédibilité », juge pour sa part que les Nuit Deboutistes sont « déconnectés de la réalité ». Last but not least, le député Guillaume Larrivé (LR), a cru « percevoir les ravages d'un usage excessif de cannabis sur les capacités cérébrales » des participants. Original.
Tout a démarré avec l’opposition au projet de loi travail et son « inversion de la hiérarchie des normes », une expression pompeuse pour signifier que le Code du travail, censé offrir une sécurité aux travailleurs, est en passe d'être cassé pour... le bonheur des employeurs. Puis des mecs comme François Ruffin, le journaleux à la tête de Fakir et auteur du très bon film Merci patron !, ou l’économiste anti-libéral, Frédéric Lordon, se sont saisis de l’occase avec d'autres pour tenter de transformer la colère suscitée par le texte en une contestation globale. Le fruit étant bien mûr, ça n’a pas loupé. Le 31 mars, Nuit Debout voit le jour à Paris, devenant une zone d’expression populaire. Un espace d’échanges et de réflexions, qui ambitionne de redéfinir tranquillement le cadre du rapport de force politique, loin de mai 68, des livres d’histoire ou des manuels de science politique.
En venant sur la place de la République, pendant les Assemblées Générales du soir, tu verras que la parole est libre. Chacun peut venir causer de ce qui l’emmerde dans le monde. C’est parfois très chiant (surtout lorsqu’il pleut) mais c’est tant mieux : Nuit Debout n’est pas qu’un simple divertissement pour petits bourgeois en mal de sensations fortes. Bien sûr, quelques-uns viennent profiter de l’endroit pour boire une canette en écoutant de la musique ou pour fumer un joint, ou les deux. Mais la plupart des gens ont surtout compris qu'il se déploie sur cette place une vraie forme d’intelligence collective.
On parle état d’urgence, déchéance de nationalité, fraudeurs fiscaux, ubérisation, revenu universel, gaspillage, violences policières, solidarité, souffrance animale, féminisme ou minorités. Sans surprise, on gueule également sur les médias, ces outils de propagande à la solde du grand capital (ce qui n’est pas le cas de MAJ, ami lecteur, sois-en rassuré). N’en déplaise à certains, Nuit Debout est profondément marqué par une critique du capitalisme et de la broyeuse néolibérale. Ce qui ne veut pas dire que tout le monde s’éclate la tête au chichon hein...
J’ai trainé mes guêtres de nombreuses heures à Nuit Debout, à Paris. Et franchement, ça fait du bien. J’ai rencontré des dizaines de personnes, échangé sur un tas de sujets, retrouvé des vieux potes que j’avais perdus de vue, assisté à des représentations de théâtre de rue de qualité et découvert des bouquins inconnus au stand de la Bibliothèque debout. J’ai aussi respiré pas mal de gaz lacrymogène. La faute aux "casseurs" qui viennent provoquer la police, paraît-il. Je dirais plutôt la faute à la police qui encadre Nuit Debout de près. Trop près. Comme si le mouvement avait besoin d'une baby-sitter.
Ami lecteur, je ne suis pas certain d’avoir bien répondu à ta question. En guise de conclusion, je dirais que Nuit Debout est un embryon, qui pourrait être l’émergence de nouveaux modes d’expression et de politisation ; une graine plantée dans le macadam de nos villes fatiguées ; un coup de pioche contre un système en voie d’effondrement. « Le vieux Monde se meurt, le nouveau tarde à apparaître », disait l’intello communiste Antonio Gramsci. Nuit Debout voudrait accélérer le processus.
L'auteur
>> Ton ami à capuche a un péché mignon : les manifs. Partout où ça pique les yeux à cause des gaz lacrymogènes, il est là. Partout où ça lance des pavés contre les vitrines, il est en embuscade. Partout où ça discute révolution, il est tapi dans l'ombre.
>> En vrai il est aussi journaliste, de la race de ceux qui aiment faire les poubelles des méchants en col blanc ou en chemise brune.