Les hommes en blanc
Ca y est, ton amie journaliste a établi un contact avec les hommes et femmes en blanc, ceux qui chantent des mantras à fond les ballons, les yeux mi-clos, comme si c’était du Patti Smith.
B., un Français de 29 ans, m’explique qu’il était attendu à Londres pour faire un master de Finances. Après un mois à Rishikesh, il a décidé qu’il n’irait nulle part. Je lui recommande d’envoyer un petit mail à ses parents, histoire de les tenir au courant : quelques jours plus tôt, j’avais discuté avec un couple de sexagénaires à la recherche de leur fils disparu en Inde depuis huit ans. Ils sillonnent le pays avec sa photo agrafée sur le sac-à-dos… Dur.
V., 27 ans, est Chinoise. Elle travaillait dans l’import-export de vins Français… Plus maintenant, l’ivresse et le matérialisme, c’est fini. Mais V. n’a pas réussi à se départir de son élégance. Même au cours de yoga 6H du mat’, les cheveux brillants et légèrement ondulés au bout, le châle sur l’épaule, elle ressemble à une pub pour Hermès. Je la complimente sur son collier, pour engager la conversation autrement que par « T’es trop belle madame ». Elle m’explique que ce n’est pas un collier mais un mala, c’est à dire un chapelet, qu’elle ne l’a pas choisi parce qu’il lui plaisait, mais parce que c’était celui qu’il lui fallait. Bon.
J. a 23 ans, il vient des îles Fidji. Défoncé du matin au soir, il a du mal à se lever pour aller au yoga. Chemise ouverte, lunettes rondes à la John Lennon, il promène sa biographie du Dalai Lama sur les bords du Gange et rêve secrètement de devenir Hunter S. Thompson. En attendant, il dit souvent "Yeeeeeah, I need to think about this" ("Ouais, il faudrait que je réfléchisse un peu à ça..."), mais on sent bien que, pour l'instant, c'est compliqué de se concentrer.
Avec eux, je me retrouve très vite -après cinq minutes à peu près- à parler existence de Dieu, karma et paix intérieure. Je les trouve parfois un peu illuminés, mais pas tant que ça. Ils sont en quête de sens, et il semble que la spiritualité indienne, dans son exotisme, soit plus séduisante que leurs penseurs maison.
Pourtant, les philosophes occidentaux n’ont fait rien d’autre que de réfléchir au comment vivre ! En écoutant B., je pense à Platon, à Spinoza ou à Montaigne, que nous avons à peine le temps de découvrir en Terminale, préoccupés par le Baccalauréat bien davantage que par la recherche de la vérité. Et je me dis qu’on aurait peut-être moins de brebis égarées sur les routes indiennes si on apprenait plus jeunes à aimer nos sages. Après, c'est vrai que Krishna est assez cool, tout bleu qu'il est.