Le coût de la murge
Nous sommes dimanche ami lecteur, soit le jour où, statistiquement, nous sommes nombreux à nous interroger sur notre rapport à l'alcool, aux cigarettes, aux drogues, ou aux trois. La semaine dernière, ton amie journaliste a eu une discussion avec deux jeunes médecins qui cuvaient sur un canapé (j'étais moi-même au même endroit, pour la même raison). Appelons-les M et B. Travaillant à l'hôpital, tous deux se confrontent quotidiennement aux conséquences de l'alcool et du tabac, qu'ils résument sans tourner autour du pot : "Des générations de déments et de cancéreux", dit B. "Infarctus du myocarde, AVC...", égrène M en tirant sur sa clope.
Ce n'est pas nouveau, mais ça ne laisse pas d'être fascinant : les médecins allument chez eux les feux qu'ils éteignent chez les autres. Comme j'étais d'humeur badine, j'ai formulé une hypothèse, pour le plaisir de la joute. Nous sommes choqués quand un élu possède un compte en Suisse, parce que l'on considère que les représentants du peuple doivent faire preuve d'exemplarité. Les médecins sont les hérauts de la santé publique ; ne devraient-ils pas, eux aussi, être soumis à l'exemplarité ? Et donc, s'abstenir de se la coller ?
Ton amie journaliste en a rêvé, les Ricains l'ont fait. L'ami médecin me signale qu'au Texas, un centre de cancérologie a formellement interdit à son personnel de fumer. Nulle part, jamais. Toutes les nouvelles recrues passent un test pour s'assurer qu'elles ne consomment pas de tabac. "Notre mission est d'éliminer le cancer, au Texas, dans le pays, et dans le monde", annonce le centre, avec un sens de la mesure que l'on salue.
"Affichage marketing", estime l'ami médecin. Je réponds que la prise en charge des malades du tabac et de l'alcool a un coût pour la société. M. me répond : "Oh, un cancer du poumon, c'est deux ans...", signifiant par là que la dépense est de courte durée.
C'est alors que l'autre ami médecin me sèche : "Ça arrange tout le monde que des gens claquent à cinquante ans. C'est autant de retraites en moins à payer". Cet argument, un peu raide, est aussi celui de Philip Morris. Le reportage de "Cash Investigation" consacré à l'industrie du tabac (encore visible ici jusqu'au 7 octobre) s'achève sur une étude réalisée à la demande du cigarettier, qui stipule que l'un dans l'autre, les états n'ont pas vraiment intérêt à anéantir la consommation de tabac. Le plus rentable pour eux, selon cet audit, c'est que l'on trime pendant quarante ans en payant des impôts, et que l'on tire notre révérence avant la retraite. Et entre-temps, on aura lâché 7 € par paquet, et 68 € à chaque mégot écrasé sur le trottoir.
T'as du feu ?