Ils vécurent heureux et eurent 2,1 enfants
Ami lecteur, si tu veux aller au cinéma cette semaine, et que tu es Parisien (j'ai bien l'impression que la distribution s'est limitée à la capitale), fais-moi plaisir, va voir Happily ever after.
Tatjana Božić est vidéaste. Elle est Croate, elle est rousse, elle est talentueuse. Et elle se fait systématiquement larguer par ses amants. Tatjana est un exemple d’un mystère répandu, mais toujours opaque : celui des femmes géniales, mais seules.
Entends-moi bien ami lecteur, elle pourrait s’en foutre. Cette solitude pourrait même être l’effet d’une décision parfaitement assumée. Mais en l'occurrence, elle ne s’en fout pas du tout ; ça la torture, même.
Elle veut qu'on lui explique, Tatjana. Alors elle demande son avis à sa bonne copine, elle interroge son père (pourquoi pas), et surtout, elle pose la question à ses ex, qui sont disséminés un peu partout - à Londres, Amsterdam, Zagreb, Berlin ou Moscou- : "Qu'est-ce qui n'a pas marché entre nous ?" Et elle filme les conversations qui en découlent.
Le résultat, c'est un « documentaire autobiographique » qui a le double-mérite d'être très drôle, et d'agir comme un miroir sur nos propres interrogations face à l'épouvantable merdier des relations hommes et femmes.
« Je suis une femme émancipée, épanouie et indépendante… quand je suis seule. Au moment même où je tombe amoureuse et où je commence une relation, je deviens quelqu’un d’autre », explique Božić.
Au point d’être capable de plaquer toute vie sociale et professionnelle pour emboîter le pas à un amoureux, par exemple. Et comme, évidemment, elle lutte ardemment contre sa tendance à l'auto-aliénation, et bien parfois, elle devient ouf. Dans le langage courant, on dit "chiante" : cruel abus de langage.
Car ces crises-là, si tu veux mon avis ami lecteur, sont la rencontre explosive entre des atavismes culturels et des aspirations autonomistes bien légitimes. Exemple. Je sens que les rôles auxquels je suis a priori assignée ne me conviennent pas, mais je n'ai pas vraiment d'autres modèles sous les yeux, ou si peu. Il me faudra donc inventer. C'est fatiguant. Et c'est fatiguant aussi pour la personne qui innove avec moi, qui doit renoncer à son statut dominant, sans rien connaître de celui qu'on lui propose à la place. Là encore, pas de modèle. Ou si peu.
Ton amie journaliste s'est sentie solidaire de cette détresse, équitablement partagée entre les deux sexes -il n'y a qu'à observer le dépit de Rogier, le dernier amoureux en date de Tatjana. Si nous sommes les pionniers d'un nouvel équilibre dans les rapports amoureux, il n'est pas anormal qu'on en chie un peu.
Pourtant, on ne sort pas déprimé de ce film. On en tire au contraire la certitude qu’il faut de toute urgence reconfigurer notre idée de l’ « échec », cette succession de rencontres et de portraits inspirant tout sauf de la compassion. Le film brosse plutôt une vie sentimentale incroyablement riche, émaillée de rencontres tellement fortes qu’elles autorisent de se revoir vingt ans plus tard en riant autour une bière.
Pour l’occasion, et devant la désarmante sincérité de Tatjana, chacun baisse la garde, accepte d’interrompre momentanément le grand cirque des jalousies, rancœurs et regrets. Tatjana enlace l'épouse de son 1er amour (Pavel qu'il s'appelle), qui, en retour, confesse que son mariage n’est pas un cadeau tous les jours. Ici, les femmes ne jouent pas les unes contre les autres, pas plus qu’elles ne jouent contre les hommes... On avait failli oublier que c'était possible, dis-donc.
La bande-annonce ici.