Epistémologie du coucou
Ami lecteur, tu es d’accord qu’il ne te viendrait pas à l’idée de faire coucou aux inconnus que tu croises chaque jour dans la rue.
Alors comment se fait-il que les gens se fassent coucou, systématiquement, dès lors qu’ils sont sur une péniche ? Ou n'importe quel bateau, d'ailleurs ?
Tu es sur les quais de la Seine (mais ça marche aussi avec la Garonne), un bateau passe : il est 100% certain qu’au moins un blaireau va te faire coucou. Et c’est difficile de ne pas répondre, parce que le mec est authentiquement ravi du signe qu’il te fait, il faut vraiment être une sacrée peau de vache pour ne pas lever la main à ton tour. C’est quasiment irrépressible, tu ne peux pas laisser le gars en chien. A la limite, tu peux accompagner le geste d’une remarque acide du type « coucou Ducon », mais tu le fais quand même.
Ton amie journaliste a bien réfléchi. Je crois qu’il s’agit d’une réminiscence de quand on était petit, quand on était sur un manège et qu’on faisait coucou aux parents en passant devant eux.
Le signe disait : « Heeeeeeeeey regarde ce truc de ouf, je suis dans un bateau/un avion/une voiture qui vole, je vais drôlement vite ». Et en retour, le signe de nos parents disait : « Je te vois, toi qui vas drôlement vite dans ton bateau/ avion/voiture qui vole, et j'admets le caractère hors du commun de ta situation ».
Le mouvement est une donnée indispensable au phénomène du coucou. Il faut que l’un des deux protagonistes soit sur un objet qui avance pour qu’il se déclenche. On ne se salue pas lorsqu’on est immobiles ; on serait très gênés.
On le fait parce que ça ne durera que quelques secondes, parce qu’on sait qu’on ne reverra jamais la personne et qu’on n'aura donc jamais à se justifier de ce geste un peu débile. Finalement, je trouve que c’est un moment magique, cet instant naïf et enthousiaste où on se reconnait entre humains. Et où on dit : « c’est vrai, tu es sur une sacrée machine mon vieux, c’est extraordinaire ».
Cette complicité toute simple, entre bipèdes, me touche.
