entre-guillemets

« Entre guillemets »


Suite de l'examen de nos tics de langage : « entre mille guillemets ». 

Quel parcours ! Quelle ambition ! De simples signes de ponctuation, les guillemets ont su s'élever au rang d'expression du langage courant. « Entre guillemets » permet de marquer une distance avec le propos énoncé, même à l'oral, et c'est bien là l'exploit.

On peut parler de « la carrière, entre guillemets, de Nabila » pour souligner que le terme employé est peut-être abusif en ce qui la concerne. Entouré d'un cordon de sécurité, le terme prend une teinte ironique.

Pour être sûr de ne pas être pris au premier degré, on peut même accompagner la locution d'un sympathique mouvement des doigts visant à imiter les petites virgules. On place les mains de part et d'autre de la tête, comme pour encadrer le terme qui va bientôt sortir de la bouche. Il s'agit ensuite de plier simultanément l'index et le majeur de chaque main au moment où l'on souhaite placer les guillemets, puis de clignoter des phalanges.

L'opération, complexe, suscite parfois des ratés : certains dérapent en disant « entre parenthèses » alors même que leurs doigts sont en train de mimer des guillemets. Comme ce coiffeur, l'autre jour, affirmant en toute bonne foi : « Je vous ai fait une coupe "à la garçonne", entre parenthèses. » A noter que personne n'a encore essayé de mimer les parenthèses avec les doigts.

De manière générale, les autres signes de ponctuation n'ont pas su dépasser leur condition initiale. On ne dit jamais : « Je te raconterai ça demain, points de suspension », pour attiser la curiosité de son interlocuteur. De même, on trouverait absurde de s'écrier : « Quelle joie de te revoir, point d'exclamation. » Seuls les guillemets jouissent d'un triple statut, oral, écrit... Et mimé.

Malheureusement, certains profitent et abusent des guillemets. Il s'agit alors de légitimer des propos limites. « C'est un vrai Français, entre mille guillemets. »

Point Bescherelle : un signe de ponctuation n'est pas censé être multiplié par mille.

Ceux qui entourent leurs affirmations de « mille guillemets » nous disent en réalité : « Je sais que ce que je vais dire est irrecevable, j'ai parfaitement conscience que c'est une énorme connerie, mais je la dis quand même. Et comme j'ai utilisé les guillemets magiques, tu n'auras pas le droit de t'en offusquer. Je suis à l'abri du soupçon, perché sur mes virgules. »

(Texte et dessin parus dans Marianne #975)



Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

*