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Comprendre le 16ème arrondissement de Paris


Le 16ème arrondissement a beau être le plus grand de Paris, d’habitude, tu n’en entends jamais parler. Jamais. Quand des événements mobilisent la capitale, le 16ème n’a pas son pareil pour s’effacer de l’agenda. Le weekend dernier par exemple, Le Parisien publiait la carte des discussions organisées dans le cadre de La nuit des débats. XVIème : zéro.

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Ces dernières semaines, l’arrondissement fantôme s’est rappelé à notre souvenir quand les riverains du Bois de Boulogne se sont opposés à l’installation d’un centre d’accueil pour SDF. Ils ont dit « salope », ils ont dit « brosse à caca », ils ont été tellement ingérables que le débat a été interrompu et la salle évacuée.

Ami lecteur, j’ai de la tendresse pour ce territoire à part, tourné sur lui-même, absolument indifférent au reste du monde. Ce sont des bourges, oui, mais d’une espèce bien spécifique. Les immensément riches s’installent dans le 7ème, les mondains friqués achètent des lofts dans les anciens quartiers populaires de l’est parisien. J’ai fait des recherches : tu peux trouver du 7000€ du mètre carré dans le 16ème, quand un appart sur le canal saint-Martin peut se négocier à 13000€. « Si vous avez un appartement à Montmartre, vous avez tout intérêt à le vendre pour aller dans le XVIème, où vous aurez un appartement plus grand », recommande un agent immobilier. Le 16ème, ce n’est pas qu’une affaire de compte en banque. C’est autre chose, c’est un trip.

Je peux t’en parler, j’ai grandi dans le 16ème sud, dans le quartier de l’église d’Auteuil. La première boulangerie était à 1km. En face de chez nous, il y avait une « résidence sénior » appelée les Hésperides d’Auteuil ; un peu plus loin à gauche, Sainte-Périne, un hôpital spécialisé en gérontologie. C’était d’un calme mortel. On entendait bruisser les feuilles des platanes. Parfois retentissait une série de détonations terribles, les murs se mettaient à trembler ; je filais dans les jupes de ma grand-mère. « Ne t’inquiète pas, c’est la bande à Johnny qui rentre…», me rassurait-elle. Johnny Hallyday, qui habitait dans la toute proche villa Molitor, se déplaçait avec ses potes motards, en Harley Davidson. Comme c’était Johnny, on tolérait le vacarme. On en était même un peu fiers ; la boulangère, seule à la ronde, avait sa photo dédicacée au-dessus de la caisse.

Pour trouver des gens qui n’ont pas atteint l’âge de la retraite, ainsi qu’une forme d’animation commerçante, il faut monter au nord du 16ème. C’est là que tu trouves les ados griffés et les femmes au brushing impeccable qui portent des lunettes de soleil toute l’année. Quand il m’arrive d’en croiser (c’est rare car elles sortent peu des limites de leur arrondissement), j’ai un instinct infaillible pour repérer les go du 1-6. Je devine la race de leur chien (un labrador), la marque de leur voiture (une mini Cooper), et même le métier dans lequel elles se sont lancées quand les enfants ont grandi (coach/décoratrice d’intérieure/gérante d’une confiserie de luxe). Je les aime bien, elles me rappellent les mamans de l’école.

Le 16ème est un monde à part, replié sur lui-même, arc-bouté sur ses privilèges surannés. Et qui peut rendre dingues les meilleurs d'entre nous.

Je me rappelle de ma mère, faisant le tour du quartier frénétiquement, me trainant par la main. Quelques minutes plus tôt, une caillera du 16 lui avait fauché la place où elle était en train de garer sa voiture. Elle s’était faufilée pendant que ma mère préparait son créneau, une roue sur le trottoir, avant de descendre tout sourire en secouant sa main pleine de bracelets, l’air de dire « c’est comme ça, je suis pressée, remets-toi, ma grande ». Ma mère était à la recherche d'une merde de chien. Elle a trouvé, a sorti un cahier de son sac, arraché plusieurs pages, et fait glisser la merde sur les feuilles. Ensuite il a fallu retourner à la voiture de la dame. Et c’est alors que j’ai vu ma mère, ce trésor de timidité, de patience et de gentillesse, étaler consciencieusement les excréments sur le pare-brise. J’étais ahurie.

« - Tu penses qu’elle saura que c’est toi ?

- Oh, elle saura très bien, ne t’inquiète pas ».

Je ne suis pas loin de penser que cet acte a signé le début de mon éveil politique.



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