Combattre les tyrans du quotidien
Ami lecteur, je voudrais faire un état d’une injustice, voire, d’une terrible carotte : les personnes qui se comportent de manière tyrannique ne sont jamais sanctionnées socialement. Elles sont même encouragées dans leurs pratiques despotiques. Et c’est nous, avec nos attitudes de baltringues, qui leur accordons ce droit.
Le tyran du quotidien, c’est celui qui te parle tellement mal, que les rares fois où il y met à peu près les formes, tu te sens privilégié. Heureux. Béat de gratitude. Au bureau, c’est généralement quelqu’un qui occupe un poste-clé, de ceux que tu ne peux pas ignorer. C’est Patrick, qui bosse au ressources humaines, et à qui tu remets tes demandes de congé, voire -et c’est encore plus pénible- tes notes de frais.
Patrick ne dit jamais « entrez » quand tu toques à sa porte. Au bout d’un moment tu te lances et tu ouvres, parce qu’il s’agit d’une porte en verre, et donc il te verrait si tu rebroussais chemin en baissant la tête. Patrick ne lève jamais les yeux de son ordi quand tu lui parles. Et toi, tu as tellement peur de te faire envoyer bouler que tu prends une voix toute fluette : « Kikou Patrick ! J’espère que je ne te dérange pas trop en venant te déposer ma demande de RTT ? ». C’est son taf, à Patrick, les RTT, mais grâce à sa stratégie tyrannique, tu as le sentiment qu’il te fait une faveur en les acceptant. Terrifié d’avance par une possible remarque au vitriol, tu déposes ton papier et tu te tires le plus vite possible en serrant le périnée (ou équivalent).
L’arnaque absolue, c’est que du coup, quand Patrick daigne te répondre quand tu lui dis bonjour, tu développes un syndrome de Stockholm éclair. Il est hyper sympa, ce Patrick, en fait, c’est vraiment un mec en or, t’as vu comment il t’a répondu salut, comme ça, quasi-spontanément ? En te gratifiant d’un simple « bonjour », Patrick t’a donné l’impression d’être épargné ; tu es éperdu de reconnaissance.
Le tyran du quotidien existe aussi en version amicale. C’est le ou la pote dont tu ne dois jamais, au grand jamais, oublier l’anniversaire. Il ou elle te distillera des remarques acides visant à te rappeler que tu lui es redevable, et ce, jusqu’à la mort. Tu sais aussi que tu ne peux pas arriver en retard à un rendez-vous avec le pote tyrannique. Tu commences à angoisser deux heures avant l’heure du départ, tu anticipes d’hypothétiques problèmes de métro, tu enfiles des chaussures confortables au cas où tu doives courir pour éviter la catastrophe. Et si, lorsque tu arrives avec cinq minutes de retard, le pote tyrannique t’accueille avec un sourire, tu es si soulagé que tu lui payes sa bière. Et de bon cœur, en plus. Quelle bande de génies, quand on y pense.
Et nous, camarades, nous qui nous soumettons à ses lois arbitraires : pourquoi ? Rebellons-nous, nom de dieu.