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Comment je me suis réconciliée avec les jeunes


Jeudi dernier, ton amie journaliste a été envoyée à Rennes pour « couvrir » la manifestation contre la loi El Khomri (dont je suis devenue spécialiste grâce à la requête de B). Je ne vois pas comment un individu pourrait prétendre « couvrir » une foule, dans mon cas j’ai plutôt le sentiment que c'est la foule qui me couvre, mais passons.

Ami lecteur, je te le dis tout de go, j’ai traîné des pieds. Non seulement je suis agoraphobe, mais en plus je suis nulle à l’épreuve de la prise de notes en marchant, et j’en veux à la CGT de s’obstiner à cracher de la musique altermondialiste par le cul de ses camionnettes. Mais comme Rennes était le poumon de la contestation contre le CPE en 2006, "on" a pensé qu’il serait de bon augure d’aller interroger la jeunesse bretonne.

J’ai pris le train de fort méchante humeur, déterminée à poser des questions casse-couilles. Exemple : ami jeune, penses-tu une seconde que l’abandon de ce projet de loi va faciliter ta vie professionnelle future ? Tu défiles pour la sécurité de l’emploi, mais as-tu seulement un vague espoir de décrocher un job ? Tu ne veux pas réfléchir à une société meilleure plutôt que de mendier les miettes d’un monde finissant ? HEIN ?

Et bien ami lecteur, je fais amende honorable. Dans le cortège, j’ai commencé par discuter avec Judikael, cheveux bleus, chemise boutonnée jusqu’en haut, pas encore majeure mais transgenre assumée. J’ai posé mes questions bad karma, elle les a balayées en deux secondes. « Évidemment que ça ne changera rien, mais on a le droit de dire stop à un gouvernement qui se prétend de gauche et qui se couche devant le patronat » (Ouais ok…). « Nous on est pour le salaire à vie et la révolution prolétarienne ». Et nous voilà en train de discuter des avantages du revenu universel, de l’exemple finlandais, mes jeunes interlocuteurs me conseillant vivement la lecture de l’économiste et sociologue Bernard Friot. Je suis séchée. A leur âge je ne pensais qu’à m’acheter des soutiens-gorge push-ups.

Un peu plus loin, je demande à deux types en master d’urbanisme à quel métier ils se destinent. « Chômeurs ! », qu'ils me disent. « Ce projet de loi mérite à lui seul qu’on soit dans la rue, mais il y a aussi eu létat d’urgence, la ZAD de Notre-Dame des Landes, la gestion de la crise migratoire… Depuis qu’on est nés, les modèles traditionnels sont essoufflés, et on a vu défiler à l’Élysée que des escrocs qui vont dans le sens du vent. Des alternatives vont voir le jour ». Je lui demande lesquelles. Pierre Rabhi ? Cécile Duflot ? « Je ne sais pas. Par exemple, je ne vais pas te dire que tous les mecs de la ZAD sont sérieux. Mais il y a des embryons ici et là. Pour l'instant, il manque la convergence ».

Un peu plus loin je tombe sur des militants du Mouvement des Jeunes Socialistes. Je les aborde en leur disant que je salue leur dissidence couillue à l’égard des grands frères du PS. « Ils vont finir par nous dissoudre », sourit Charles, 18 ans. Le camarade Benjamin, 25 ans, embraye : « On demande le retrait total parce que ça ne va pas dans le bon sens. C’est un projet de loi d’essence libérale, on est socialistes. On porte la semaine de 32H, une 6ème semaine de congés payés, une vraie répartition des richesses, et la redéfinition du rapport entre le travail et le capital ». Merde alors, des utopistes, des gens debout. Et mieux encore, qui savent encore rêver. Rennes m’a refilé un coup de jus. Je suis à deux doigts de me laisser pousser les dreads.

 

 

 



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